Mulot à bord
Juillet
2004
A
Campolara, chaque année on a des passagers clandestins.
Nos fidèles lecteurs connaissent la mascotte
de Campolara, un reptile de taille honorable qui a
donné lieu à un récit mémorable il y a quelques années.
L'histoire du jour se termine mieux pour le clandestin.
En fait, le vol se déroulait plutôt bien.
Un point de virage à Soria, et une branche avec des
plafonds très élevés, du grand Campolara comme on aimerait
en voir plus souvent. Enfin, ça c'est mon point de vue.
Sous mes fesses, c'était différent. Monté le long du train
nuitamment, se nourrissant de graines, herbes et miettes
de petits gâteaux, le mulot trouvait la vie sympa,
jusqu'au décollage où la poussière et les soubresauts lui
ont fait changer d'avis. Fuyant un courant d'air violent,
il s'est réfugié dans un recoin, attendant la fin de ce
qui ressemblait furieusement à un orage, sans pluie.
Lorsque la situation fut plus calme, il constata que la
nuit était précoce, et surtout que la sortie était
obstruée. Boâââ pensa-t-il, Il y a de quoi bouffer, on
verra bien. Il commença a déchanter après quelques heures,
lorsque le température commença à vraiment chuter voire
devenir négative. Il se dit que vers la lumière, il ferait
peut-être plus chaud.
Effectivement, à 4800 mètres même en juillet en Castille,
il fait froid, et il vaut mieux voyager au poste de
pilotage qu'en soute. C'est ainsi que je sentis une
morsure sur mon index gauche, qui traînait immobile non
loin du compensateur. Bin oui, sur le pégase, il n'y a pas
de volets à manipuler, on se contente du compensateur. Je
jette un oeil, et je vois le mulot se balader sur ma main
gauche. Pas eu le temps de le coincer, il était déjà sur
les palonniers, à me narguer. Une tentative de mise en
apesanteur se soldant par un vol de cartes, crayon,
gâteaux secs et autres babioles non attachées, on décide
une trêve, à 4500 mètres, d'autant que le pégase n'est pas
autorisé voltige et que les turbulences volontaires ont
fait filer le reste du paquet de gâteaux secs vers les
palonniers au plus grand profit du clandestin. Pour
récupérer le paquet, galère.
Après une rapide ré-évaluation de la situation, décision
de poursuivre le vol est prise, non sans informer le
clandestin que le seul maître à bord après Dieu a rendu sa
sentence : le planeur étant certifié monoplace, le
clandestin doit évacuer au plus vite les lieux. C'est donc
la condamnation à mort par défenestration. (j'en connais
au moins un qui aurait sorti les AF et un tournevis ou un
couteau et/ou demandé une priorité absolue à l'attero,
mais bon, un mulot, c'est pas un frelon). A partir de ce
moment là, le bestiau ne décolle évidemment plus des
palonniers, passant de gauche à droite et de droite à
gauche en me chatouillant les jambes, et prenant bien
garde à ne pas passer entre les chaussures et les
palonniers, ce qui semblerait indiquer que si le froid et
l'hypoxie engourdissent les petits rongeurs, il ne semble
pas affecter leur instinct de survie outre mesure.
Évidemment, à la descente ça se réchauffe, la pression
partielle d'oxygène augmente, et les rotations palonnier
gauche palonnier droit s'accélèrent, via les chaussettes.
Lors de la sortie du train, le bestiau était toujours à
bord. Après, je n'en sais rien. La sentence se serait
exécutée sans autre manip que la sortie du train, ou le
clandestin ayant compris que finalement y avait d'autres
endroits plus calmes pour nicher, et a attendu la nuit
pour aller voir ailleurs... toujours est¬-il que le
lendemain, je n'ai pas vu de mulot à bord.
Segovie vue du
ciel
La
Castille est belle