L’escalier vers
l’Espagne
17 mai 2004
Les
lecteurs de l’ouvrage de référence d’Alain
Blanchard le savent bien : sur les Pyrénées il y a
souvent plusieurs masses d’air aux
caractéristiques différentes. Pour le vélivole
Oloronnais, il y en a classiquement trois : celle
de la plaine, celle de la chaîne centrale, et
celle des faces Sud.
Vu
d’en bas avant de décoller, on n’en voit pas
forcément toutes les subtilités surtout si la
masse d’air de la plaine n’est pas balisée par des
cumulus. On voit alors celle de la zone centrale,
avec des joufflus prometteurs et c’est tout. La
frontière entre la masse d’air de la plaine et
celle de la zone centrale est mobile. En début de
journée elle se trouve sur le 2eme ou le 3eme
chaînon, et petit à petit elle migre vers la crête
frontière. Cette migration peut être suffisamment
rapide pour que le planeur n°2, largué 20 minutes
après le n°1, ne trouve plus aucune ascendance là
ou son prédécesseur avait 3 m/s. Il est alors
condamné à passer son après midi en basses
couches, en écoutant les copains crapahuter vers
le mont Perdu. Râlant non ? Pour éviter pareille
mésaventure il faut bien observer le ciel pendant
le remorqué, et surtout ne pas larguer trop tôt.
Si on dispose d’une info sur les directions de
vent, cela aide énormément.
En
ce lundi, vent d’Est annoncé en basses couches,
mais du 150° à 3000 mètres. On annonce des cumulus
à 2000 mètres dans la masse d’air de la plaine….
vers 17 heures, sans doute pas avant. La vie ne va
pas être facile pour les copains en
rassemblement à Aire. Les faces au soleil du matin
en Ossau sont balisées de cumulus, celles du
cheminement habituel vers l’Ourdinse, lieu
traditionnel de largage par vent de Sud sont dans
le bleu. Normal, cela ne peut qu’être dégueulant
sous le vent de la crête Aspe-Ossau.
Cela
cumulifie doucettement sur le Montagnon coté Est,
c’est donc là-bas qu’on se fera remorquer. Il faut
donc commencer par un large 360° verticale terrain
pour ensuite passer la crête d’Escurets, mais est
plus économique qu’un cheminement dans la
dégueulante à l’Ouest du Maihl Arrouilh. Une fois
en l’air on voit que la situation est plus
complexe qu’il n’y paraît. Plus au Sud il semble y
avoir une succession de paliers, avec des plafonds
de plus en plus haut. Convaincu par deux vautours
je largue à 1800m pour me retrouver à 2000 au
plafond en quelques minutes… mais trop bas pour
passer le Lauriolle : il faudra longer la crête
jusqu’à trouver le point de départ de pompes plus
sèches permettant d’atteindre 2200m (non sans
quelque déconvenue en face sud du pic des 4
cantons, au soleil mais sous le vent - ouahou la
gamelle !), puis en avançant, 2400 puis 2600
mètres.
Etagements sur la crête entre Aspe et
Ossau. La bonne masse d’air est au sud, à gauche de
l’image.
Cela
devient
suffisant pour aller chercher au Sud-Ouest
du Sesque une base à 3200 mètres, avec à chaque
étape des varios de plus en plus conséquents. La
voie vers l’Espagne est donc ouverte. Au Sud du
pic d’Aspe, on n’a plus que 2900 mètres de
plafond. C’est souvent ainsi. Le cheminement se
fait ensuite sur la crête Aspe-Ossau, un peu
décalé coté Aspe, avec vue sur l'Ossau à gauche de
la route
C’est en zone centrale que les plafonds sont les
plus élevés, mais avec l’enneigement, les
ascendances y sont plus rares et plus molles. Sur
les calcaires du parcours du combattant de Jaca,
on n’enroule pas à moins de 3m/s, et c’est souvent
ligne droite au ras des barbules ; la trilogie
Collarada-Partacua-Tendenera est vite effacée. La
météo a annoncé de possibles orages sur le
Pyrénées, vous savez « ces orages qui vont
remonter d’Espagne ». Foutaises: les orages ne
remontent pas d’Espagne, ils se forment dans la
masse d’air humide, celle de la plaine,
lorsqu’elle est suffisamment chauffée et entrée
dans les vallées. Depuis l’Espagne, on aperçoit
les têtes de congestus coté Français, ce qui
inquiète toujours sur les conditions du retour,
surtout si l’on a aucun contact radio avec le
nord… et aujourd’hui c’est le cas. La seule
réponse vient de Serge, qui vient de décoller
(tard) de Jaca où il est en vacances. Personne
plus à l’Est pour dire comment c’est, blackout au
nord, silence sur 122.65.
Les sommets de Gavarnie, la brèche, face Sud
Canyon d'Aniclo, Le Sestrales le domine en rive
gauche
Sur la vallée de Plan, au nord de Cotiella on est
à 7/8 de cumulus, mais le 1/8 qui laisse passer le
soleil donne des varios fumants.
Ibon de
Plan et Cotiella
A
la station de ski de Cerler - c’est dingue on est
le 17 mai, et on pourrait encore skier sur toute
la partie supérieure de la station - cela devient
ramolo et la garde au sol réduite. La Maladeta est
dans le bleu, comme Posets. Sentant mal une
branche vers les Encantats, je fais demi-tour.
Avec la composante du 150, le retour est
facile, voire mouillé – de la pluie au
sommet de chaque pompe - mais les congestus
Français sont de plus en plus gros. Virage à Isaba
et il devient raisonnable de quitter le pays des
varios joufflus, pour rentrer à la maison avant
que ça ne devienne impossible. Un contact radio
avec Oloron (en fait un avion volant à proximité)
car le terrain est invisible derrière le 1er
relief- peut être établi avant de mettre le cap :
CAVOK sur le terrain et la plaine. Les centres des
vallées d'Aspe et d'Ossau sont dégagés. Les
congestus accrochent les crêtes.
Vallée
de Roncal: Le passage par Kakoueta
reste ouvert, mais c'est bien bas
coté français
Le cheminement habituel dans l’axe de la vallée du
Somport est dégagé, mais comme il risque
d’être arrosé par le gros joufflu qui emballe le
Sesques, ce sera un retour par la vallée d’Ossau,
après avoir survolé les Pics Rouges que la masse
d’air humide à réussi à atteindre, comme
d’habitude. C’est l’occasion de faire quelques
images, avant d’entrer dans la masse d’air
poisseuse.
D’orage il n’y a point eut, on verra demain.
La
vie
est belle.